L’imaginaire déstabilise et c’est heureux
Qu’est-ce qu’un banquier?
Je ne parle pas ici du banquier en tant que tel. Il ne s’agit ni du commercial au guichet de la banque du coin de la rue ni du patron d’une banque privée suisse dont le travail consiste à faire éviter le fisc à ses clients. Prenez donc ce terme de banquier comme l’archétype d'un défenseur du statu quo, comme l’archétype du conservatisme sociétal et économique.
Pourquoi donc, cette figure imaginaire, caricaturale et antiprogressiste aurait-elle peur des dragons?
La réalité scrutée
Il y a dans la littérature de l’imaginaire, une manière d’user du monde imaginaire et de ses personnages comme des archétypes, et que Tolkien le veuille ou non, comme des allégories.
C’est d’une façon extrêmement détournée que l’auteur de ces genres de littérature scrute et analyse le monde. Il le passe au travers d’un prisme.
Orwell dans 1984 se sert d’une société totalitaire en tournant les potards de l’abject à fond, pour parler des états totalitaires de son temps et de leurs avenirs.
Huxley utilise La république de Platon, et la transposent dans un monde eugéniste et futuristes dans Le meilleur des mondes. Cela lui permet de pointer entre autres les en-dehors d’une société trop bien ficelée, ou ce qu’est un monde basé sur un système de classes.
Le conservatisme à l’épreuve des mondes
Ainsi, la littérature de l'imaginaire met à l'épreuve les croyances et les présupposés. C'est une des choses qu'elle fait le mieux.
Pourquoi, quand les tenants de l'ordre établi lisent 1984 ne semblent-ils pas le comprendre? Pourquoi mettent-ils la Novlangue à toutes les sauces? Mon avis est qu'ils n'ont ni assez d'imagination ni un esprit assez ouvert...
Ils ouvrent ce livre (à supposer qu'ils l'ouvrent vraiment) avec l'envie qu'il prouve et démontre que leurs avis sur (au choix) la gauche, les jeunes, le progressisme, le langage... sont les bons.
Ils agissent comme quelqu'un qui conduirait une expérience pour prouver que la terre est plate; puis refuserait d'accepter la validité de l'expérimentation tant qu'elle montrerait le monde comme un globe
Le cas Robert A. Heinlein
Je ne dis pas ici que la littérature de l'imaginaire est de gauche... C'est objectivement faux.
Cela dit, même quand elle est portée par des auteurs de droite, elle utilise les mêmes artifices, les mêmes outils pour mettre le monde à l'épreuve. Seulement, c'est une autre visée qui est recherchée.
C'est livres, sont du même genre, et ont également une intention politique, ensevelie sous une guerre interstellaire
Ne pas déranger
Que lisent les banquiers?
Ils lisent des Best-sellers.
Pourquoi lisent-ils?
Ursula K. Le Guin dans son essai Pourquoi les Américains ont-ils peur des Dragons? Parle de cet étrange attachement qu'a la société puritaine de son temps pour les best-sellers. Elle y voit une sorte de pensée magique, qui consiste à penser que le succès d'un livre et de son auteur pourrait rejaillir sur soi, par la simple lecture du bouquin.
Cette théorie m'a tout d'abord semblé étrange... Puis, je me suis souvenu des ventes hallucinantes des biographies de Steve Jobs, Elon Musk et consorts. Pourquoi lire ces histoires? Si ce n'est dans l'espoir de voir ruisseler sur soi quelques idées géniales qui pourraient nous rendre riches?
Et si ce sont des biographies sur des gens qui ont prétendu (trop souvent) qu'ils avaient une sorte de mission pour *make a better world*... à la fin, que sont-ils? Des milliardaires terrorisés par les impôts et encrés dans un progressisme purement marketing, qui ne cache que très mal leur envie de défendre le statu quo.
Pourquoi ont-ils peur?
La même Ursula K. Le Guin dans le même essai nous dit :
Les Américains, et les Occidentaux en général, ont peur des dragons parce qu'ils ont peur de la liberté
et si elle a sans doute raison, permettez-moi d'en rajouter une couche.
Si les banquiers ont peur des dragons, c'est qu'ils ont peur de la liberté et des changements qu'elle rend possibles.