La maison impossible
Nouvelle fantastique. Une jeune femme est retrouvée morte dans des conditions étrange, elle a laissé un témoignage.
Ci-dessous, la transcription du carnet trouvé sur le corps d’une femme, au 25 rue des Lilas, Lyon. Il doit être porté au dossier que les papiers d’identité trouvés sur la victime se sont révélés faux et incohérents, et que la personne mentionnée dans le texte n’a pu être retrouvée.
Écoute, j’espère que tu trouveras ce carnet, parce que vraiment, il faudra que ma mort soit expliquée par quelque chose. Ce n’est pas possible que je meure comme ça, sans que personne n’ait la moindre idée de ce qui m’est arrivé, enfin, de ce qui est en train de m’arriver plutôt.
J’espère que ce sera toi Jean, qui trouvera ce journal. Je ne comprends pas ce qui se passe, et j’ai besoin de te parler. Je crois que ça fait des jours que je suis là. Des jours, oui, ce doit être ça. Il y a des choses inexplicables qui se sont passées.
Tout est tellement bizarre depuis que je suis rentré dans cette baraque de merde. Je m’attendais à beaucoup de choses… Mais certainement pas à ça ! Bordel, c’est juste une maison abandonnée, je devrais y trouver, je sais pas, des clodos, des drogués, des squatteurs quoi, mais tout est détraqué depuis que je suis entré ici.
Déjà, quand je regarde par les fenêtres, tout est noir. Tout. Comme si le temps s’était arrêté. Ce n’est pas possible. Jean, je te promets que ça ne recommence pas, ce n’est pas moi. Ça ne vient pas de moi. D’abord, je suis clean de tout depuis des années, je vois toujours la psy, l’addictologue. Tout ce bazar. Ce n’est pas moi. Je te promets que le temps s’est arrêté dehors, et que tout est stoppé. Je ne peux pas ouvrir ni la porte ni les fenêtres, ça fait comme si il y avait un énorme courant d’air ou je ne sais pas, autre chose. Comme si de l’extérieur de la maison, on tirait sur les poignées de la porte d’entrée pour m’empêcher de sortir. C’est ridicule, je sais que c’est ridicule.
Comment ça peut arriver ? Je suis dans cette putain de maison, coincée. Je devais juste vérifier la maison pour faire une évaluation, je te jure Jean, tu pourras demander à l’autre empotée qui prend les rendez-vous, je devais bien me rendre ici, et rencontrer les neveux du proprio. C’était ouvert. À peine j’étais rentré, la porte s’est immédiatement refermée derrière moi. Je ne comprends pas.
Heureusement que j’avais ma gourde sur moi… J’ai faim, mais bon, ça ira. Je suis resté dans le salon de l’entrée jusqu’à présent. Toutes les autres portes sont fermées. Mais j’en ai marre, je vais me servir du tisonnier de la cheminée et les défoncer ces putains de portes. J’ai que ça à faire de toute manière.
Donc si le carnet s’arrête là, c’est que, je sais pas, je ne m’en suis pas sortie, je suppose.
OK, bon, c’est encore plus ridicule que le temps qui s’arrête à l’extérieur, mais il y a un truc qui cloche avec la maison. Elle est beaucoup trop grande. Tu sais, Jean, c’est comme cette série débile avec l’anglais là, je sais plus son nom. La maison est beaucoup, beaucoup, plus grande à l’intérieure qu’a l’extérieure. J’ai traversé je ne sais pas combien de couloirs, des dizaines de portes qui donnent toutes sur des chambres différentes.
J’ai dû revenir, j’avais peur de me perdre et je me disais que j’allais devenir folle à me promener comme ça dans un dédale infini de portes et de chambres. Il y a une porte que je n’ai pas ouverte. Celle de la cave, c’est toujours ce que font les gens dans les films d’horreur, ils ouvrent la porte de la cave, et après, ils sont morts. Alors, je n’ouvrirai pas cette porte.
Bon, j’ai regardé par les fenêtres et la vitre en haut de la porte, c’est la même merde partout. C’est noir partout. Ça n’a pas de sens. Est-ce que le temps s’est arrêté, ou est-ce que cette maison est au milieu de rien ? Je ne peux toujours pas ouvrir la porte. Il faut que je sorte de cet enfer.
Je vais prendre le carnet, et explorer ces couloirs. Je vais prendre des photos aussi. Mon téléphone n’a pas de réseau, mais il faut que je prenne des images de cet endroit. Sinon personne ne me croira. J’y vais.
Le couloir n’a pas changé, mais les chambres si. Celles que j’avais ouvertes ne sont plus les mêmes. Il y en a qui sont des chambres qu’on pourrait voir chez Ikea, des chambres témoins presque. D’autres, on dirait qu’elles sont, ou ont été habitées… mais pas toujours aux mêmes époques. J’ai même trouvé une machine à écrire sur un bureau dans l’une d’elles. Une autre c’était quasiment la chambre qu’un ado aurait pu avoir dans les années quatre-vingt, ou quatre-vingt-dix. Des posters aux murs, des magazines, une sorte de console de jeux… mais je n’ai rien reconnu. Tous les groupes de musiques, c’était des trucs du genre rock, à l’époque où ils se maquillaient, tu vois Jean ? Glam rock, ou je sais plus. Alors OK, je ne connais pas tous les groupes de rock, mais là, je ne sais pas, il y avait un truc étrange. Je n’en ai reconnu aucun sur les dix posters qui tapissaient les murs. Et les magazines ! C’était encore plus bizarre. Ça parlait de choses dont je n’ai aucun souvenir…
Là, je t’écris d’une chambre qui, apparemment, n’a jamais servi. Comme une pièce dans une des revues de déco que j’achète. Je vais dormir là. Je continuerai à mon réveil. Il faut absolument que je sorte de là.
Je pense que ça fait des jours que je marche dans ce putain de couloir. Je n’ai plus d’eau. Là, je suis accroupie contre un mur. Les portes ne s’ouvrent plus.
Mais, quelque chose a changé. Il y a une fin à ce tunnel. C’est très loin, mais j’aperçois une porte. Je finis de t’écrire et j’y vais.
On dirait que la porte est en verre, tu sais, comme les portes de bureaux de détectives dans les films. Je vois de la lumière au travers. Il faut que je passe par là, de toute manière, j’ai fait trop de chemin, et dans le salon, il n’y a que la porte de la cave comme option.
C’était bien un bureau de détective… Comment ça peut être un bureau de détective ? Comment ? En plus, ce n’était pas juste un bureau, c’était exactement comme je l’avais imaginé… un bureau des années cinquante, tout droit sorti d’un film noir. Ça pue la clope, tout est poussiéreux, et il y a même un de ces chapeaux ridicules qu’ils portaient. Je me souviens plus du nom de ces trucs. Accroché à un porte-manteau avec un abominable imper beige. J’en peux plus. C’est vrai, Jean, je te jure que ce n’est pas moi qui délire. Tout ce que j’écris est vrai.
Il y a encore une porte dans le fond, comme une porte de placard, je n’arrive pas à l’ouvrir. J’ai pris le tisonnier, je vais l’enfoncer. Mais pour l’instant, je vais dormir, et j’ai une putain de soif…
C’est encore pire que ce à quoi je m’attendais. La porte du bureau de détective, c’était la porte de ce que je croyais être la cave. Je suis revenu sur mes pas. Je suis de nouveau dans le salon. Encore…
J’en ai marre. Mon téléphone n’a plus de batterie. Bon, à la limite, comme je n’ai jamais trouvé de réseau, ce n’est pas très grave. J’abandonne. Tant pis.
Je vais crever de soif, et si quelqu’un me trouve un jour, s’il vous plait, donnez ce carnet à Jean Carlet.