IA, bullshit et création
L'intelligence artificielle n'est qu'une technologie... et pourquoi il n’y en aura pas pour tout le monde.
Le traitement de data
“Jamais Shakespeare ne naîtra de l’étude de Shakespeare”
Ralph Waldo Emerson « La Confiance en soi et autres essais », trad. M. Bégot, Payot & Rivages, coll. Rivages Poche Petite Bibliothèque, 2000
Une belle machine
L’IA traite des données, un corpus. Un amas de sources, certes énorme, mais il s’agit, ni plus ni moins que d’une machine très bien faite de traitement de données.
Pastiche
Si l’on ordonnait à une ou un spécialiste de la littérature française du seizième siècle, de nous écrire un nouveau roman de Rabelais, on obtiendrait un pastiche... Et peut-être même un bon. Mais en aucun cas, on ne se retrouverait avec émerveillement face à une nouvelle aventure des célèbres géants, de la propre main de Rabelais.
De son côté, l’IA a tout en mémoire, si elle possède tout, par son corpus gigantesque, cela ne fait pas d’elle une spécialiste de la littérature. D’abord, parce qu’elle n’a pas de point de vue, et puis parce qu’elle n’a pas d’intuitions ; ce qui la disqualifie à la fois pour être un enseignant chercheur, un artiste, et un individu.
Je ne suis donc pas franchement étonné de découvrir que ses pastiches sont moins bons que ceux de Proust...
L’obstacle de la figure intégrante
“La critique stylistique soutient que toute œuvre d’art possède
une « figure intégrante ». Cela signifie que chaque fragment, chaque page, chaque mot d’une œuvre qu’on lit ou qu’on écrit appartient à une totalité qui lui est immanente et tend vers une conclusion idéale qui donne à l’œuvre sa signification et son unité.”
Pier Paolo Pasolini « Dialogues en public » P22 Éditions Corti
IA, es-tu seulement quelqu’un ?
À partir de là, tout est très simple... Si l’IA n’est pas quelqu’un, si elle n’est pas un être pensant, un être humain en fait, l’IA ne peut pas produire d’œuvres... Je n’arrive pas à croire que je suis en train d’écrire un truc aussi évident, mais il semble que la terre s’est peuplée de techno solutionniste prêt à résoudre tous les problèmes qui n’existent pas.
Il y a un monde où ces robots acquièrent une forme de conscience. Peut-être pas exactement la nôtre, mais, disons une ombre, un décalque, de ce que les ingénieurs pensent être la psyché humaine. À ce moment-là, cet être (appelons-le Bob) devra par lui-même vivre des expériences, être influencé par son environnement, rêver (et tout ça, sans avoir été trop guidé par ses concepteurs) pour être un individu comme on l’entend. Bob devra, par sa propre volonté, se mettre à écrire des poèmes, peindre des voiliers sur un quai. Tant qu’on dira à Bob de le faire, et à plus forte raison s’il passe son temps à ne faire que remâcher sa base de données, il ne sera ni être, ni savant et encore moins artiste.
Pourquoi tant de bruit ?
À qui L’IA peut-elle servir ?
Je vois partout, un emballement quant à l’utilisation de ces IA... Du côté de la génération d’image, je suis obligé d’être admiratif devant la qualité de certaines productions de midjourney par exemple. Du côté du texte par contre, je suis beaucoup moins impressionné. À part pour du travail de copywriting ou de la diarrhée de news sans grande importance, je ne suis ni inquiet ni stupéfait par les qualités du produit d’OpenAI.
Quand je me pose deux secondes et regarde l’état actuel de ces technologies, il me semble que les premiers utilisateurs seront sans doute les publicitaires. Surtout ceux qui ne portent pas un grand intérêt à la valeur artistique des images et des mots.
D’autant plus que beaucoup d’images utilisées à des fins publicitaires, particulièrement en ligne, ne semblent pas nécessitées d’immenses qualités.
Pour ce qui est du reste, je ne vois pas l’intérêt de consommer du contenu produit par une IA... Derrière l’art, il y a soit un artiste, soit un artisan. Jusqu’à preuve du contraire, me concernant, l’IA ne fait pas œuvre, car elle n’est personne.
Ready-made
Je n’ai pas la place ici de développer sur la pratique du prompt (le fait de donner des instructions à une IA pour qu’elle produise une image, un livre, etc.). En tant que processus créatif artistique. Ça s’apparente au ready-made, et je crois que j’en ai soupé comme on dit. C’est peut-être conservateur ou d’un autre temps, mais tant pis, faire les choses soi-même, il y a une valeur là-dedans.
L’avenir
Je finirai ce trop long article, par une vision à la fois plus globale et pessimiste.
En dernière instance, il nous faut considérer que l’énergie et les terres rares vont couter de plus en plus cher. [...] La dystopie, ce n’est peut-être pas que les humains soient dépossédés de leurs tâches, mais que les machines ne deviennent accessibles qu’à quelques-uns, à des monopoles qui en useront pour leur influence ou leur propagande.
Pierre Cassou-Noguès, Philosophie magazine mars 2023, P 19
En quelque sorte, nous y sommes déjà, un tiers de la population mondiale n’a pas d’accès à internet, et certains agriculteurs reviennent si peu chers, qu’ils n’ont toujours pas été remplacé par le tracteur.